À un moment donné entre écrit et oral

Anne Le Draoulec, Josette Rebeyrolle

pp. 75-107

Le présent article s’inscrit dans la continuité d’une étude précédente portant sur la pragmaticalisation de la locution à un moment donné. Nous poursuivons ici l’exploration de ce phénomène – examiné jusqu’à présent uniquement à l’oral – en le situant par rapport au sens temporel originel de la locution, lequel vaut cette fois aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Nous nous appuyons préalablement sur l’étude de un jour proposée par Charolles (2006) pour tâcher de mettre en évidence, par comparaison, la singularité de à un moment donné. Les nouveaux éléments mis au jour nous amènent à aborder autrement le phénomène de pragmaticalisation et à dresser un panorama plus global du parcours de la locution, de ses emplois purement temporels (qu’on trouve à l’écrit aussi bien qu’à l’oral) à des emplois où émergent des valeurs pragmatiques (emplois uniquement possibles à l’oral, ou plus précisément, dans la proximité communicationnelle).

Publication details

DOI: 10.19079/lde.2022.s3.3

Full citation:

Le Draoulec, A. , Rebeyrolle, J. (2022). À un moment donné entre écrit et oral. Linguistique de l’écrit 3, pp. 75-107.

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Introduction

3À l’origine du présent article, le constat suivant : à l’heure actuelle, les conversations sont pleines d’à un moment donné, avec des occurrences qui peuvent relever de l’emploi temporel standard, comme en (1) :

À un moment donné je suis partie / Je suis partie à un moment donné1

4ou d’emplois plus particuliers qu’illustrent (2)-(5) :

Écrire sur soi c’est rester dans sa petite routine, tu grattes juste tes bobos… À un moment donné, ça suffit. (webzine culturel Rocknfool, interview de Mélodie Spear, 12/02/2020) C’est tellement insensé ça a tellement pas de cohérence on se retrouve dans un monde où on est à 15000 dans un métro et on a pas le droit de se retrouver le soir dans un resto ça s’est pas possible ça paraît injuste // à un moment donné2 j’en ai marre qu’on me parle des morts j’en ai marre qu’on me parle de préserver ma santé (France Culture, Journal de 8h, 28/09/2020) Les harceleurs ils ont un comportement qui induit beaucoup de choses chez la victime et tu es victime mais à un moment donné ce qu’il faut que tu rencontres ce qui ne fut pas le cas d’Adèle Haenel à 12 ans tu ne peux pas te défendre ce qu’il faut que tu t’interroges individuellement c’est comment me défendre individuellement de ça (France Culture, L’invité culture, 23/11/2019)

5où le rôle de la locution à un moment donné (désormais AMD) semble aller au-delà d’une simple indication temporelle (sans que celle-ci soit pour autant effacée).

6L’usage massif de AMD à l’oral nous semble au moins remonter à une quinzaine d’années, avec cependant d’importantes variations selon les locuteurs : il y a ceux « qui l’ont » (voire qui l’ont beaucoup) et ceux qui ne l’ont pas. Cet usage confinerait même parfois au « tic de langage », dont certains internautes se sont d’ailleurs émus. En témoigne ce billet de blog dont l’auteur – un manageur – notait (en 2005 déjà) la surreprésentation de AMD dans les conversations :

L’autre jour au forum des entrepreneurs, j’entendais dans nombre de discours l’expression « à un moment donné ». En écoutant la radio au retour, même expression. Puis à la réunion de parents d’élèves le soir, le moment était aussi souvent donné.
Je me demande bien à qui ce moment est-il donné ? Et pourquoi ? Peut-être y a-t-il une idée de start-up : collecter tous ces moments donnés, les agréger et les revendre. Big business...
A certains moments (donnés), des expressions deviennent populaires dans le langage. Traduisent-ils un symptôme ? Quel est le symptôme du « moment donné » ?
Débat... (laurentderauglaudre.com, 19/09/2005)

7En 2019, la question continue d’agacer :

Ces derniers temps je trouve qu’on entend un peu trop :
 y’a un moment faut que ça s’arrête !
 à un moment donné, y’en a marre !
(forum.hardware.fr, 16/01/2019, sous le sujet « les tics de langage qui vous agacent? »)

8Il ne suffit pas cependant de dire que ces emplois relèvent d’un tic de langage. Nous avions déjà commencé à les regarder comme un phénomène de « pragmaticalisation » (cf. Dostie 2004), en nous appuyant sur des indices à la fois phonétiques, syntaxiques, morphologiques et sémantiques (cf. Le Draoulec et Rebeyrolle 2020a). Nous proposons de poursuivre ici l’exploration de ce phénomène – que nous avions examiné uniquement à l’oral – en le situant par rapport à son sens temporel originel, lequel vaut cette fois aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Nous nous appuierons préalablement sur l’étude de un jour proposée par Charolles (2006) pour tâcher de mettre en évidence, par comparaison, la singularité de AMD. Nous serons ainsi amenées à aborder d’autres aspects du phénomène de pragmaticalisation, et à dresser un panorama plus global du parcours de la locution, de ses emplois purement temporels à des emplois où émergent des valeurs pragmatiques. Les premiers, qu’on trouve à l’écrit aussi bien qu’à l’oral, feront l’objet de la section 1. Les seconds, qui sont essentiellement le fait de l’oral, seront étudiés en section 2.

1 | À un moment donné et la localisation temporelle

9Alors que Charolles (2006) distingue deux emplois temporels de un jour (comme « complément de durée » ou « complément adverbial de localisation temporelle »), AMD ne peut fonctionner (du fait de la préposition à) que comme complément de localisation temporelle3.

10On notera par ailleurs que AMD admet, à l’oral, des variantes sans la préposition (un moment donné, (il) y a un moment donné), ayant le même type de fonctionnement. On considérera uniquement le cas de AMD (avec la préposition, donc).

Question de l’indétermination et rôle de donné

Premières observations

11Notre constat de départ est le même que celui fait par Charolles sur un jour, au sens où il y a quelque chose de paradoxal à donner un ancrage temporel à l’aide de ce type d’expression indéfinie4. Il écrit ainsi (à propos de l’exemple Un jour, Zoé résoudra / a résolu le problème de Fermat) :

Cet ancrage, pour efficace qu’il soit, n’en demeure pas moins paradoxal dans la mesure où un jour, même lesté par la prédication (un jour parmi les jours et au cours duquel Zoé résoudra/a résolu le problème de Fermat), n’est pas en mesure d’identifier un jour déterminé. (Charolles 2006, 57)

12On remarquera par ailleurs que cette indétermination de la référence temporelle peut être redoublée, en contexte, par l’association avec d’autres indéfinis – comme c’est le cas dans ce titre d’un article de Libération :

Gotlib : « Chacun, à un moment donné, a accroché à une de ses histoires » (Libération, 5/12/2016)

13En ce qui concerne le rôle de donné dans le « lestage » de moment, nous renvoyons à l’étude sur corpus présentée dans Le Draoulec et Rebeyrolle (2020b)5. Cette étude, qui était essentiellement consacrée à la mise en évidence du rôle de donné dans le phénomène de pragmaticalisation, montrait au préalable que dans les emplois purement temporels de l’expression, donné – dont les dictionnaires proposent des synonymes du type désigné avec précision, fixé (d’avance), (bien) déterminé – ne donne « le plus souvent qu’une apparence, un vernis de précision » (p.135)6.

14On est ainsi amené à faire le parallèle entre à un moment donné et un beau jour, où l’usage de l’adjectif beau, délibérément subjectif, n’est en fait pas si différent de celui de donné : beau permet de distinguer le jour qu’il qualifie de tout autre jour, de la même façon que donné distingue tel moment de tout autre moment.

15Certes, parfois, la présence de donné se justifie par la pertinence qu’il y aurait à préciser le moment dont il s’agit, comme en (6), où AMD entre dans la description d’un itinéraire :

Tout autour, noyées dans l’aube, il y a d’autres maisons, semblables à celle-ci. Elles sont toutes habitées par des Ivoiriens. Quand on marche et qu’on tourne à un moment donné vers la gauche, on se retrouve brusquement devant un établissement scolaire en construction. (Sarah Chiche, Les enténébrés, 2019)

16Cette pertinence de la précision ne s’assortit pas nécessairement de la possibilité d’y satisfaire – comme en (7), où la mémoire fait défaut :

J’ai longtemps conçu des plug-ins VST pour mon propre usage, sans aucune forme de contact avec le monde extérieur. À un moment donné, je ne me souviens plus exactement quand, j’ai décidé de parfaire un de mes prototypes et de le sortir, c’est devenu le Feedback Compressor. (site audiofanzine.com)

17Mais dans beaucoup d’autres cas, il ne semble pas y avoir de pertinence à donner la précision que laisse attendre donné. On trouve même des exemples où le moment donné ne se distingue pas particulièrement d’un autre, ainsi qu’en témoigne l’existence de la construction à un moment donné ou à un autre, apparemment contradictoire :7

Comme si ça pouvait durer indéfiniment ! dit le docteur. Que voulez-vous faire ? Il faut bien qu’à un moment donné ou à un autre ça s’arrête, il... (L’Herbe, Claude Simon)

18Pour prolonger la comparaison avec un jour, on remarquera que si un jour ou l’autre apparaît comme une expression consacrée, il est, en revanche, beaucoup plus difficile d’avoir un beau jour ou l’autre, dont on ne trouve que de rares attestations sur internet :

un beau jour ou l’autre peut être nos routes se croiseront elles (blog dinclo56.com)

19On remarquera également la différence dans l’usage de l’indéfini ou du défini pour introduire le second terme de la coordination : indéfini pour moment (cf. à un moment ou à un autre), défini pour jour (cf. un jour ou l’autre). On ne trouve ainsi que de très rares attestations de à un moment ou l’autre et un jour ou un autre (et de plus rares attestations encore de un beau jour ou un autre et à un moment donné ou l’autre).

Rôle de donné : motifs de l’alternance

20Pour préciser le rôle de donné dans l’emploi temporel de à un moment donné, nous nous proposons ici d’explorer les motifs de l’alternance entre à un moment (AM) et à un moment donné dans la base de données écrites Frantext. Le choix de cette base tient d’une part à ce que les locutions y sont, l’une comme l’autre, toujours utilisées en un sens temporel8 ; et d’autre part, à ce que Frantext ouvre la possibilité d’une étude diachronique.

21Commençons par expliciter rapidement notre procédure de cons|titution de données. Pour à un moment aussi bien que à un moment donné, nous n’avons pris en compte, ni les cas où moment serait modifié par un autre adjectif que donné (cf. à un moment précis/crucial, etc.), ni les cas où moment (donné) serait modifié par un syntagme prépositionnel (à un moment (donné) de son existence) ou une relative (à un moment (donné) où j’habitais à Paris), ou encore suivi de la séquence ou à un autre.

22Nous avons commencé par extraire automatiquement toutes les occurrences de à un moment et de à un moment donné dans l’ensemble de la base Frantext. À partir des résultats obtenus (1933 occurrences pour à un moment, 843 pour à un moment donné), nous avons effectué divers tris manuels pour ne retenir que les formes de à un moment et à un moment donné répondant aux critères exposés ci-dessus – soit un total de 926 occurrences de à un moment, et de 816 occurrences de à un moment donné.

23L’exploration des données retenues nous a permis d’observer une alternance régulière des deux formes, avec cependant des variations – dans le temps et selon les auteurs – que nous exposons ci-dessous.

  • Évolution des usages respectifs de AM et AMD

24Les résultats de la comparaison des usages respectifs de à un moment et à un moment donné au cours du temps sont présentés dans les deux graphiques qui suivent. Les occurrences considérées couvrent une période allant de 1562 (date de la première occurrence) à 2018 (date de la dernière occurrence).

Graphique 1 : nombre d’occurrences de AM et de AMD sur des intervalles de 30 ans (largeur des barres = 30 ans) en fréquence absolue
Graphique 2 : proportion de AM et AMD sur les mêmes intervalles de 30 ans

25Dans le premier graphique, on représente la fréquence absolue, c’est-à-dire le nombre d’occurrences de AM et de AMD sur des intervalles de 30 ans. Cet histogramme nous permet de comparer les deux expressions et de voir que AM apparaît d’abord seul. Ensuite, avant 1900 et au milieu du 20e siècle, les valeurs de fréquence sont similaires, avec cependant une légère prédominance de AMD. Enfin, depuis les années 2000, on constate que la tendance s’inverse.

26Le second diagramme vient compléter le tableau en montrant la proportion de AM et AMD sur les mêmes intervalles de 30 ans pour l’ensemble de la période : on y retrouve l’apparition plus tardive de AMD et la complémentarité des deux locutions, ainsi que la baisse de AMD dans la période la plus récente. Pour expliquer cette baisse à l’écrit, notre hypothèse serait que AMD est aujourd’hui plus volontiers regardé comme relevant de l’oral : son relatif discrédit à l’écrit serait ainsi une retombée du phénomène de pragmaticalisation qu’on examinera en section 2.

  • Variation des usages respectifs de AM et AMD selon les auteurs

27De façon générale on observe, dans nos données de Frantext, une grande variation interindividuelle dans l’usage qui est fait de AMD vs AM. Cette variation apparaît dans les tableau et graphique ci-dessous, où ne sont pris en considération que les auteurs ayant utilisé l’une des expressions au moins 20 fois.

Auteurs Occurrences de AMD Occurrences de AM Total
Jean Giono 46 37 83
Pierre Mendès-France 76 1 77
Claude Simon 2 39 41
Edmond de Goncourt 1 34 35
Claude Mauriac 3 32 35
Monique Wittig 35 0 35
Julien Green 0 31 31
Paul Bourget 1 28 29
Simone de Beauvoir 8 20 28
Emmanuel Carrère 0 28 28
Ferdinand de Saussure 28 0 28
Henri Bergson 26 0 26
George Sand 18 5 23
Annie Ernaux 2 20 22
Anna Gavalda 0 21 21
Total 246 296 542
Tableau 1 : nombre d’occurrences de AM et de AMD dans les œuvres des auteurs qui ont au moins 20 occurrences de l’une ou l’autre locution

28Ce tableau met en évidence que les usages de AM et AMD sont la plupart du temps complémentaires : rares sont les auteurs qui utilisent les deux et quand ils le font, c’est en privilégiant nettement l’un par rapport à l’autre ; seul Giono montre une variation intra-individuelle marquée, avec un usage plus équilibré des deux expressions. Dans tous les cas, l’usage de l’une ou l’autre expression ne semble ressortir qu’à des choix stylistiques.

Variété des emplois temporels

29Pour explorer la variété des emplois temporels de AMD, nous ouvrirons l’éventail de nos données en ajoutant, aux données écrites de Frantext, souvent littéraires, des exemples tirés de pratiques de la « proximité communicationnelle » (voir l’introduction de ce volume), qu’il s’agisse de conversations proprement orales ou de conversations écrites numériques (telles qu’on les trouve dans des blogs ou forums).

Usages prospectif versus narratif de à un moment donné en comparaison avec un jour

30Nous commencerons par nous appuyer sur la distinction qu’établit Charolles (2006) entre un jour prospectif et un jour narratif.

  • Usage prospectif

31Charolles illustre l’usage prospectif en citant (p. 58) le début d’une chanson bien connue :

Un jour, tu verras, on se rencontrera

32De cet usage, AMD offre un pendant parfait :

Tu ne peux pas vivre uniquement de souvenirs, Horatio, tu trouveras l’amour à un moment donné, tu verras. Tu seras heureux. (Forum jag.fansforum)

33Le parallèle entre un jour et AMD est d’ailleurs confirmé par la possibilité, illustrée dans l’exemple (plus austère) suivant, de reprendre AMD par ce jour-là :

Par contre, nous pouvons jouer un rôle important en ce sens qu’un mûrissement se fera petit à petit dans l’opinion, ne serait-ce que parce que les événements le provoqueront et à un moment donné, l’échec de la politique actuellement faite sera très clair et compris par tout le monde. Ce jour-là, la désagrégation non seulement de ce gouvernement, mais finalement de tous ceux qui auront voté pour lui – c’est-à-dire de tout le monde – sera complète. (Pierre Mendès-France, Pour une république moderne, 1955-1962)

34Cet usage prospectif de un jour aussi bien que de à un moment donné est associé à une expression simple ou périphrastique du futur, lequel est prototypiquement envisagé à partir du temps de l’énonciation – comme dans les exemples ci-dessus. Mais il peut être également envisagé à partir d’un repère passé – comme dans l’exemple (13), produit par Charolles (2006, 59), ou (14), que nous construisons avec AMD sur le même modèle :

Un jour, nous devions nous rencontrer. À un moment donné, nous devions nous rencontrer.

35Pour la caractérisation de un jour prospectif, on retiendra plus particulièrement de l’analyse de Charolles (2006, 59) les éléments suivants :

Le SN indéfini fixe un jour particulier, singulier, spécifique mais conjectural présenté soit comme potentiel soit comme n’existant que dans l’univers de croyance ou dans l’espace mental du locuteur.

36Éléments qu’on peut reprendre, mutatis mutandis, pour le SP indéfini à un moment donné9.

  • Usage narratif

37En ce qui concerne cette fois l’usage narratif de un jour, Charolles (2006, 63) l’illustre par l’exemple suivant :

Zoé fréquentait le même café depuis plus de vingt ans. Un jour, le patron lui demanda l’adresse d’un psychanalyste.

38qu’il commente ainsi :

Dans [(15)], la phrase d’accueil du complément spécifie le jour auquel réfère le complément détaché en tête […] comme étant celui où le patron a demandé à Zoé l’adresse d’un psychanalyste. Cette spécification ne le détermine pas complètement (soit que le locuteur se trouve dans l’incapacité d’identifier le jour en question, soit qu’il considère comme inutile d’en fournir une description parfaitement identifiante), mais elle le singularise suffisamment pour qu’il puisse servir de cadre aux événements rapportés. Cette singularité est marquée, dans la phrase d’accueil, par le passé simple de surgissement […] : l’événement auquel réfère celle-ci introduit un fait global et ponctuel à même de différencier le jour en question de ceux évoqués par la phrase contexte (p. 64).

39Il souligne que le caractère ponctuel de l’événement introduit par un jour fait partie des conditions d’emploi de la locution, qui ne pourrait être suivie d’un imparfait10.

40Cette dernière condition d’emploi ne vaut pas pour AMD, qui peut tout aussi bien introduire un procès duratif ou répétitif, comme en (16) ou (17) (où moment désigne un intervalle de temps qu’on pourrait encore désigner comme « époque » ou « période ») :

À un moment donné, j’habitais à Paris. À un moment donné, je dînais souvent chez des amis.

41En dehors de ce cas cependant, le fonctionnement de AMD est comparable à celui de un jour. On trouve ainsi de nombreux exemples avec AMD où la locution est suivie d’un procès ponctuel introduisant un événement qui différencie ce moment des moments qui précèdent :

Mais ça se passait dans la solitude, très haut, entre deux plaques de nuages : une qui bouchait le ciel, une qui bouchait la vallée. À un moment donné les nuages d’en haut se déchirèrent, la lune parut. (Jean Giono, Batailles dans la montagne)

42Charolles précise cependant, à propos de un jour narratif, que la rupture introduite par l’événement qui suit n’est pas nécessairement associée à l’usage du passé simple (ou d’un passé composé). Il cite en ce sens (p.65) l’exemple (19), où elle est associée à un présent. De la même façon, dans le cas de AMD narratif, l’expression de la rupture peut se faire à travers l’usage du présent, comme en (20) :

Un avocat hâbleur fonde avec un homme timide une association ayant pour but de défendre les petites gens aux prises avec des problèmes légaux. L’affaire marche, le timide devient un battant. Mais un jour il y a un os... (présentation du film Les ténors, magazine TV) On voit une lueur rouge vers l’ouest. À un moment donné, tout l’horizon s’embrase. (Aline Dupuy, Journal d’une lycéenne sous l’occupation)

43Charolles (2006) évoque également l’existence de contraintes s’exerçant sur le contexte amont de un jour narratif. Il mentionne en particulier la présence nécessaire de ce qu’il désigne (cf. citation ci-dessus) comme « phrase contexte » en amont de la locution. Il est selon lui difficile de « concevoir une situation dans laquelle une personne annoncerait ex abrupto » :

Un jour, je me suis fait attaquer par un essaim d’abeilles (Charolles 2006, 66)

44dans la mesure où seule la présence d’une phrase contexte permettrait – en « rend[ant] accessible un ensemble de jours sur lequel le complément prélèverait un jour particulier » – de fixer le référent de un jour.

45Cette contrainte nous paraît cependant trop forte, dans la mesure où l’impossibilité d’identifier un jour particulier parmi d’autres ne nous semble pas constituer un obstacle à l’usage de un jour narratif. On citera en ce sens la « note liminaire » d’un récit de Nathalie Heinich :

Un jour, j’ai eu envie d’écrire sur les maisons que j’ai fréquentées, et qui ont disparu de ma vie, exactement comme des gens qu’on a aimés, qui ont énormément compté pour nous, et puis qui sortent de nos existences, pour telle ou telle raison. (Nathalie Heinich, Maisons perdues, 2013)

46En tête de phrase (et aussi, donc, en tête de récit en (22)), un jour donne un ancrage temporel qui, aussi indéterminé soit-il, nous semble faciliter le démarrage d’un nouvel (éventuellement premier) épisode narratif11.

47De la même façon, le fonctionnement de la locution AMD ne nous semble pas nécessiter la présence, en amont, d’une phrase contexte rendant accessible (pour reprendre les mots de Charolles) un ensemble de moments dans lequel le complément prélèverait un moment particulier. En atteste l’exemple (23) :

– Et vous ? – Oh, moi... à un moment donné, j’ai ressenti le besoin d’en découdre. Peut-être quand nous courions dans les bois avec les Viets au cul. Depuis, je suis en colère. (Alexis Jenni, L’Art français de la guerre, 2011)

48Et de la même façon qu’avec un jour, nous dirions que la présence d’AMD facilite le démarrage d’un nouvel épisode narratif, même en l’absence de phrase contexte en amont12.

49Comme autre contrainte sur le contexte amont, Charolles (2006) évoque le fait que « Un jour passe mal, voire pas du tout, à la suite d’une phrase référant à un événement perfectif et ponctuel au passé simple », dans la mesure où « un jour a besoin de s’appuyer sur un intervalle ouvert » :

*Paul rencontra Zoé à la terrasse d’un café. Un jour, elle lui téléphona pour lui demander l’adresse d’un psychanalyste (Charolles 2006, 65)

50Cette contrainte associée à l’emploi de un jour ne se retrouve cependant pas avec AMD, comme suffisent à le mettre en évidence les exemples suivants :

Une lanterne se promena sur la route. À un moment donné elle se balança. (Jean Giono, Le bonheur fou, 1957) Flanqué de notre directeur, il entra dans la classe et procéda à un petit interrogatoire pour tester nos connaissances et notre niveau. À un moment donné, il demanda : “Quelle est la capitale de la France ?” (Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, l’enfant Peul, 1991)

51Non seulement AMD peut apparaître entre deux événements ponctuels au passé simple, mais encore on observe, en (25) et (26), que sa présence peut être nécessaire pour empêcher que s’installe, entre ces deux événements, une relation de discours de type « Narration », impliquant une continuité à la fois thématique et temporelle (cf. la Segmented Discourse Representation Theory de Asher 1993)13. Dans ce type de configuration, la présence de AMD bloque l’installation d’une telle relation de Narration en « détachant » dans le temps les deux événements (le premier s’inscrivant ainsi dans une forme de durée)14.

Prolongements

52En distinguant les usages prospectif et narratif de un jour, Charolles (2006) omet de prendre en compte les cas où prospection et narration se rejoignent. Or c’est tout à fait possible, pour un jour aussi bien que pour AMD, ainsi qu’on peut l’illustrer par :

Tu rencontreras un gentil garçon, vous vous plairez, vous vous marierez, un jour/à un moment donné vous vous séparerez.

53On citera encore, pour le cas de AMD, l’exemple suivant :

Il a été beaucoup trop trompé, notamment dans les quinze et vingt dernières années. Mais, à un moment donné, les yeux s’ouvrent, les réveils s’opèrent. Et à un moment donné il y aura dans ce pays – là-dessus je n’ai pas l’ombre d’un doute – le besoin de cette solution alternative. (Pierre Mendès-France, Pour une République moderne, 1955-1962)

54qui met évidence le parallélisme entre l’usage narratif de AMD associé à un futur à valeur prospective (à un moment donné il y aura dans ce pays) ou à un présent de répétition (à un moment donné, les yeux s’ouvrent, les réveils s’opèrent). Dans chacun des cas, les événements dont il s’agit sont des événements potentiels, plutôt qu’effectivement réalisés – ce qui n’enlève pas à l’usage de AMD le caractère narratif qui était le sien dans les exemples de la section précédente.

55Associé à un présent générique, AMD permet – comme le ferait également un jour – de faire avancer la narration sans que s’installe une relation de discours inappropriée. On l’avait vu dans la section précédente à propos d’exemples au passé simple. On le vérifiera encore sur les exemples suivants, où l’une aussi bien que l’autre locution, en amenant à détacher temporellement l’événement qu’elle introduit par rapport à l’événement – ou l’ensemble d’événements – qui précède(nt), empêche que s’installe entre eux une relation de Narration15 :

Au début, tu ne te rends pas compte. Et un jour, tu comprends que tu vis dans une prison et que tu as pris une longue peine. (site laurent-mucchielli.org) Tu penses que tu peux partager et communiquer et un jour, tu comprends que ce n’est pas possible.
(blog jesorsdumoule.wordpress.com)
Le danger passe et on laisse pourrir la situation, à un moment donné elle explose (France culture, Les matins, 5 mai 2017) Au départ ce sont les histoires d’en bas de chez toi, celles de ton quartier et puis au fur et à mesure tu élargis ton horizon, tu voyages, tu rencontres d’autres réalités, d’autres histoires qui te touchent. À un moment donné tu comprends que l’histoire du môme junky à Tanger est la même histoire que le junky de ton quartier. (africultures.com)

56On notera que un jour et AMD sont en revanche parfaitement compatibles avec d’autres relations de discours, et en particulier, dans tous les exemples ci-dessous, avec une relation de Contraste, déclenchée par un isomorphisme syntaxique partiel16 associé à la présence de thèmes contrastifs : thèmes contrastifs très évidents dans ces exemples, et qu’on se contentera d’illustrer par l’opposition entre ne pas se rendre compte et comprendre que en (29)17.

57Par ailleurs, ces exemples où AMD et un jour introduisent un événement simplement potentiel nous amènent à considérer une catégorie plus large que celle des simples usages prospectifs (telle que l’envisageait Charolles 2006) : la catégorie des usages potentiels. Cette nouvelle catégorisation va nous permettre de rendre compte à la fois des cas d’usage prospectif et des cas qu’on vient de voir où les locutions sont associées à un présent générique. On notera que très souvent, le caractère potentiel de l’usage des locutions est renforcé par la présence d’une modalité (cf. AMD / un jour, il faut / tu dois).

58Dans les exemples qu’on vient de voir, l’usage potentiel lié au présent générique se combine avec un usage narratif. Mais ce n’est pas nécessairement le cas : on avait ainsi déjà vu en (8) (répété ci-dessous) un exemple d’usage potentiel où il ne s’agit pas d’introduire un nouvel épisode narratif :

Comme si ça pouvait durer indéfiniment ! dit le docteur. Que voulez-vous faire ? Il faut bien qu’à un moment donné ou à un autre ça s’arrête, il...

59On avait mentionné cet exemple comme illustration de la possibilité laissée par l’indétermination de donné de compléter la locution par ou à un autre. On précisera à ce stade que les emplois potentiels sont en fait les seuls susceptibles de laisser place à cet ajout. On le mesu|rera à la difficulté qu’il y aurait à introduire ou à un autre en (25) (cf. (25’)), alors que cela ne pose aucun problème en (11) ou en (31) (cf. (11’) et (31’)) :

Une lanterne se promena sur la route. ?À un moment donné ou à un autre elle se balança. Tu ne peux pas vivre uniquement de souvenirs, Horatio, tu trouveras l’amour à un moment donné ou à un autre, tu verras. Le danger passe et on laisse pourrir la situation, à un moment donné ou à un autre elle explose.

2 | Pragmaticalisation de à un moment donné à l’oral

60Nous abordons maintenant l’étude des emplois où AMD, en plus de son sens temporel, a développé divers effets relevant de ce que nous appelons, en suivant Dostie (2004), un phénomène de « pragmaticalisation ». Ces emplois ne sont possibles qu’à l’oral (ou plus précisément, dans la proximité communicationnelle), dans des exemples où AMD n’est pas intégré à la structure phrastique – ce qui correspond, dans la grande majorité des cas, à une position à l’initiale de phrase (cf. Le Draoulec & Rebeyrolle (2020a)). Nous nous appuierons dans cette section uniquement sur ce type d’exemples.

Transition : vers l’émergence de nouveaux emplois

61Nous allons commencer par nous appuyer sur deux exemples « remarquables » en ce sens qu’ils réunissent, en quelques énoncés, des occurrences de AMD caractéristiques du cheminement de la locution vers un emploi pragmatique. Ces occurrences relèvent d’emplois temporels qu’on avait déjà vus dans la section précédente, tout en présentant des propriétés dont on verra, dans un second temps (cf. sections 2.2 et 2.3), vers quoi elles peuvent évoluer.

À un moment donné, le sucre et le rat-taupe nu

62Notre premier exemple est constitué d’extraits retranscrits d’une interview radiophonique par Jacques Attali du médecin nutritionniste Frédéric Saldmann. Les différentes occurrences de AMD, qui se produisent toutes dans l’intervalle d’une vingtaine de minutes, sont rassemblées sous (34) (que nous subdivisons cependant pour faire apparaître le découpage en extraits).

a. FS : On injecte une intraveineuse de sucre et s’il y a des cellules cancéreuses elles rappliquent tout de suite elles adorent le sucre donc à un moment donné il faut mettre la pédale douce sur le sucre
b. [Il est question du sport]
FS : Ce n’est pas de temps en temps […] à un moment donné surtout s’il y a eu un petit antécédent on n’a plus les moyens de ne pas en faire
c. [Il est question du rat-taupe nu, petite souris qui a un code génétique proche du nôtre]
FS : Ce qui est fantastique avec cette petite souris […] elle ne vieillit pas elle reste intacte
JA : Et elle meurt brusquement après un certain temps
FS : Pas brutalement au bout de 30 à 32 ans à un moment donné pendant quelques semaines elle est moins rapide la peau devient un peu plus fine et elle s’endort
d. FS : On a trouvé des modèles mais tellement éloignés y a eu jusqu’à une méduse Turitopsis Nutricula elle elle avance elle avance jusqu’à maturité et à un moment donné clic elle revient à la puberté et ainsi de suite elle meurt jamais
(France Culture, Le sens des choses, « Comment faudrait-il manger aujourd’hui pour tirer le meilleur de son corps et de son esprit ? », 15/07/2017)

63Les deux derniers AMD (en (34.c-d)) font l’objet d’un usage narratif entre des énoncés au présent générique – et relèvent ainsi également de ce qu’on avait appelé un usage « potentiel ». Par ailleurs, comme dans les exemples (32) et (33) examinés plus haut, la locution est dans chacun des cas compatible avec l’installation d’une relation de discours de type Contraste : relation déclenchée, en (34.c) par l’opposition entre les segments « elle ne vieillit pas elle reste intacte » et « elle est moins rapide la peau devient un peu plus fine et elle s’endort » ; et en (34.d) entre « elle avance jusqu’à maturité » et « elle revient à la puberté ». À chaque fois, le nouvel épisode introduit par AMD s’avère ainsi en rupture avec ce qui précède (rupture appuyée, en (34.d), par une onomatopée (clic)).

64Les deux premiers AMD (en (34.a-b)), sans entrer dans une narration, relèvent également d’un usage potentiel, associé cette fois à la présence d’une modalité : une modalité en il faut (comme on l’avait déjà vu en (9)) ou en on ne peut pas ne pas. Cette modalité se charge d’exprimer une injonction au changement : directement avec il faut, ou indirectement avec on ne peut pas ne pas (par impossibilité de faire autrement).

65Ainsi, la locution qui revient régulièrement dans l’interview signale dans tous les cas une rupture, la fin d’un état antérieur, le passage à une nouvelle phase.

À un moment donné, une leçon pour la vie

66Notre second exemple est extrait de la retranscription d’un entretien filmé en 2012 au Centre exposition « Enfants en Justice » :

En théorie, je n’ai aucun souvenir, vraiment aucun souvenir des cours, à part un, qui s’appelait, je crois Escudier, je me souviens d’une phrase... nous étions tous un peu largués dans le cours... et puis à un moment donné, il s’est énervé, il a dit : « Oh puis merde, si vous voulez que cela soit facile et simple, la psychologie, vous n’avez qu’à la simplifier, et puis à ce moment-là, tout sera simple, je suis désolé moi je ne peux pas simplifier des choses qui ne sont pas simples. ». Je me souviens de cette phrase qui m’a fait prendre un peu conscience, qu’à un moment donné, il fallait faire des pas, fallait peut-être travailler, fallait peut-être avancer, fallait peut-être réfléchir et cætera. (Entretien avec Patrick Haddad retranscrit par Michel Basdevant, et mis à disposition sur criminocorpus.org).

67On retrouve dans ces deux occurrences d’AMD l’effet de rupture qu’on avait vu associé aux occurrences de l’exemple (34). On ne s’attardera pas sur le second AMD, qui nous ramène à l’injonction au changement des exemples (34.a-b). Le premier AMD relève, quant à lui, d’un usage narratif tel qu’on l’avait vu en section 1.2.1 : l’événement qu’il introduit est un événement effectivement réalisé (au passé composé), en rupture avec ce qui précède. Il présente cependant une caractéristique supplémentaire : l’événement en question dit une émotion (un « énervement ») dont on verra plus loin l’importance qu’elle revêt en ce qui concerne la pragmaticalisation.

À un moment donné comme béquille narrative

68Les exemples ci-dessus mettaient en évidence la régularité avec laquelle AMD, dans son sens temporel, contribue à marquer le passage à un nouvel épisode. Or il apparaît qu’à partir de cet usage peut s’en déployer un autre où AMD devient une sorte de « béquille narrative » (on pourrait également parler de « rame », au sens où il s’agit de faire avancer le discours). En témoigne de façon très probante l’exemple qui suit, où les AMD se font frénétiques :

Et voilà c’est un mouvement l’institution de la contestation // à un moment donné cette contestation devient instituée mais Durkheim précise que ça n’est pas inintéressant c’est pas pour ça que tout d’un coup on va aller dans un ordre que ça va devenir quelque chose d’établi puisque que ça va être de nouveau contesté heureusement mais ce mouvement il est intéressant et pourquoi la contestation devient instituée peut-être parce qu’à un moment donné elle répond et peut-être que c’est d’ailleurs que c’est cette question du Derain tout à l’heure dont on parlait elle répond à un moment donné à un besoin de la société peut-être que c’est ça à un moment donné peut-être cette contestation vient répondre à un moment de à un moment de notre société et donc c’est peut-être pour ça qu’on redécouvre les choses. (France culture, La dispute, 7 juin 2017)

69Ces quatre occurrences de AMD ont le même rôle d’introduction d’une nouvelle étape dans un processus d’évolution qu’on avait déjà observé en (34.c-d) – mais le fait qu’elles soient aussi rapprochées dans le discours leur donne une résonnance particulière. On observe par ailleurs que la première occurrence donne une localisation temporelle dont il serait impossible de se passer : il est nécessaire d’ancrer temporellement le changement dont il s’agit (celui où « cette contestation devient instituée »). Une fois ce changement localisé, la répétition des AMD devient en revanche superflue. Notre hypothèse est que, à un moment où la locutrice s’enlise un peu dans son récit, AMD prend une fonction de support discursif : mettre en exergue les points de rupture lui permet de garder la parole tout en donnant à son récit un effet de rebondissements. Cet effet reste cependant très « mécanique » (au sens d’une mécanique de répétition) ; d’où le côté « tic de langage » qu’on avait vu en introduction18.

À un moment donné  comme support d’expressivité

70La séquence « à un moment donné, il s’est énervé », en (35), nous paraissait remarquable en ce sens qu’elle est représentative d’une association privilégiée entre la présence de AMD et l’expression d’une émotion négative. De fait, le relevé d’exemples où l’emploi de AMD s’accompagne d’effets allant de l’« agacement » à l’« exaspération » a été le point de départ de l’étude de Le Draoulec et Rebeyrolle (2020a) sur la pragmaticalisation de la locution. On reprend ci-dessous, en (37) et (38), des exemples où ces effets étaient mis en évidence à travers l’association de AMD avec des séquences telles que stop, ras-le-bol, faut oublier ça (dans des exemples qui rejoignent les exemples (2)-(4) de l’introduction) :

Trop de pression. Christophe Polichetti fulmine : « Cash Investigation et les médias ont ouvert la brèche, mais on doit aller plus loin que notre propre cas, insiste-t-il. La Poste, Carrefour, Orange… C’est comme si c’était acquis que dans ces boîtes, on est sous pression au point de vouloir se suicider ! A un moment donné, stop, on ne vient pas au monde pour crever au boulot ! » (Libération, 28/09/2017) Mais quand les juges donnent leur avis, Laurent Ruquier semble avoir en travers de la gorge l’épisode du sac. « Moi, j’m’en fous des Chupa-Chups et du sac rose mais enfin, essayez d’éviter les clichés à la con, excusez-moi. Le jour où vous me verrez avec un sac rose dans la rue, vous comprendrez que tous les homos n’ont pas des sacs roses. Non mais c’est vrai, à un moment donné, ras-le-bol ! Non mais déjà la première fois, vous m’aviez fait le coup. Ma foi, ou vous êtes homophobe, ou vous êtes con mais à un moment donné, faut oublier ça » explique l’animateur. (Site PureMédias, 22/10/2011)

71À ces exemples on ajoutera les exemples (39) et (40), où AMD est associé à y en a marre ou ça m’agace :

S’ils veulent du fric, ils n’ont qu’à aller le demander à ceux qui ont les poches pleines de millions. C’est triste pour ceux qui souffrent de maladies orphelines mais à un moment donné y en a marre de jouer sur la misère pour gratter de l’argent à ceux qui n’en ont pas. (Forum de discussion sur le site jeuxvideo.com) En fait ça m’agace de devoir m’interrompre pour leur dire, en fait c’est pas qui bavardent, enfin, du coup c’est lié, c’est un peu bizarre ce que je dis, c’est le fait que je suis obligée de m’interrompre pour ou les regarder ou truc ça m’agace à un moment donné ça m’agace. (Transcription dans un mémoire universitaire d’un entretien avec une enseignante, site dumas.ccsd.cnrs.fr)

72Les emplois de AMD en (37-41) diffèrent cependant de celui qu’on trouve dans « à un moment donné, il s’est énervé », en (35), dont nous ne considérons pas qu’il est pragmaticalisé. Pour que l’expression d’une émotion négative corresponde à une pragmaticalisation de AMD, il faut en effet qu’il y ait un investissement subjectif négatif du locuteur, ainsi que nous l’avions mis en évidence dans Le Draoulec et Rebeyrolle (2020b)19. Il n’y a pas de pragmaticalisation en (35) dans la mesure où AMD est associé à la mention d’une émotion attribuée à un tiers ; les exemples (37-41), en revanche, mettent en jeu l’expression d’une émotion négative ressentie par le locuteur lui-même. Dit autrement, le passage du non pragmatique au pragmatique suppose que AMD devienne un support d’expressivité du locuteur : la différence entre mention et expression d’une émotion apparaît dans l’opposition que présentent les exemples (35) (avec « il s’est énervé ») et (40) (avec « ça m’agace »).

73On précisera que, dans son expression d’une émotion, le locuteur peut se faire l’écho d’une émotion également attribuée à un autre énonciateur. C’est le cas dans l’exemple suivant où l’emploi de AMD par Hubert Védrine (le locuteur) nous semble également propre à transmettre le sentiment d’un tiers (Obama) vis-à-vis d’une situation présentée comme intolérable (« trop, c’est trop ») :

Il ne s’agit pas du terrorisme en général, il s’agit de ce qui se passe en Irak et en Syrie, dont on peut juger que cela atteint un degré de déstabilisation, de barbarie, de risque de contagion, de sanctuaire pour l’ensemble des zones terroristes tel qu’une réaction était devenue inévitable. Je ne pense pas qu’on puisse plaquer sur le président Obama les critiques habituelles contre les États-Unis. Obama a été élu pour retirer les États-Unis de l’impasse des guerres de Bush, et s’il se résigne à cela, alors que ce n’est pas sa ligne, c’est que vraiment, à un moment donné, trop, c’est trop. (telescoop.tv, transcription d’une interview d’Hubert Védrine dans l’émission Ce soir ou jamais du 26/09/ 2014)

74Cet exemple a par ailleurs l’intérêt de mettre particulièrement bien en évidence l’association très privilégiée entre la présence de AMD et l’idée qu’un seuil de tolérance est atteint, qu’on a dépassé les bornes, franchi les limites acceptables. De cette idée en découle immédiatement une autre, selon laquelle il faudrait mettre fin à la situation en question, qui ne peut plus durer. En (42), la séquence introduite par AMD (« trop, c’est trop ») reste seulement au seuil de cet appel à « mettre fin »20. Mais dans d’autres exemples, la nécessité d’un changement est explicitement formulée dans la proposition introduite par AMD, selon une configuration qu’on avait déjà rencontrée plus haut, dans les exemples de la section 2.1. On rappelle en effet que (34) aussi bien que (35) présentaient un schéma d’injonction au changement : injonction liée au constat qu’une si|tuation (mauvaise) a trop duré (on a mangé trop de sucre, on n’a pas fait de sport, pas assez travaillé). Dans ces deux exemples cependant, il ne s’agissait pas encore de pragmaticalisation, dans la mesure où l’injonction n’était pas associée à un investissement subjectif négatif du locuteur. La conjonction entre investissement subjectif négatif et injonction au changement était, en revanche, déjà présente dans l’exemple (38) ci-dessus, où AMD était associé à la modalité falloir (« faut oublier ça »). On citera encore, allant dans le même sens, l’exemple suivant, moins remarquable que (38) en termes d’ « intensité » de l’émotion en jeu, mais où le quand même atteste néanmoins de l’implication de la locutrice :

Je pense qu’à un moment donné il faut quand même qu’on se donne la liberté de faire des changements (collègue lors d’une réunion)

75On a bien conscience, en faisant appel à des termes tels que « émotion » ou « investissement subjectif négatif du locuteur », de marcher sur une ligne de crête bien dangereuse : qu’est-ce qui nous autorise à dire qu’en (35), le AMD de « à un moment donné il faut mettre la pédale douce sur le sucre » ne trahit aucune implication subjective négative de la part du locuteur (le médecin qui parle à la radio) ? L’analyse serait-elle différente dans un contexte où ce médecin s’adresserait à un patient ? L’absence de quand même dans l’énoncé (43) nous amènerait-elle à ne pas regarder le AMD comme pragmatique ? De fait, les divers aspects de la subjectivité communément associée au phénomène de pragmaticalisation restent souvent, quel que soit leur caractère déterminant, aux marges de l’analyse linguistique. Il faudrait, pour éviter le caractère approximatif – qu’on nous reprochera à raison – de notre étude, explorer beaucoup plus précisément qu’on ne le fait ici le lien entre marqueur linguistique et expression d’une émotion. Nous ne nous aventurerons pas sur ce terrain, et nous contenterons de donner des éléments supplémentaires en faveur d’un emploi pragmatique de AMD comme support d’expressivité (négative).

76Le premier élément tient dans la capacité de AMD à introduire une gamme d’énoncés variée, allant de l’énoncé « classique » avec sujet et prédicat verbal (sur le modèle de ça m’agace ou j’en ai marre) jusqu’à l’interjection émotive (du type stop ou ras-le bol) en passant par des expressions plus ou moins figées (du type ça suffit ou trop, c’est trop). La possibilité pour AMD de déboucher sur une simple interjection est particulièrement révélatrice. On citera à cet égard l’analyse de Kleiber (2006) à propos de l’interjection aie ! :

Le trait crucial mis en relief est que, si l’interjection émotive indique que le locuteur éprouve l’émotion correspondante au moment de prononcer l’interjection c’est parce que l’énonciation de l’interjection laisse transparaître elle-même cette émotion. Par son interjection, le locuteur se présente comme ressentant l’émotion en question. II ne la dit pas, comme avec une phrase déclarative du type j’ai mal ou j’ai du regret, il l’atteste ou la manifeste à travers son interjection. (Kleiber 2006, 18-19)

77Le fait que AMD puisse être suivi d’une interjection par laquelle « le locuteur se présente comme ressentant une émotion » va clairement dans le sens de notre hypothèse, selon laquelle l’expression (et même, en l’occurrence, « l’attestation ») d’une émotion joue un rôle dans la pragmaticalisation de la locution21.

78Le second élément sur lequel nous nous appuierons est la fréquence remarquable des emplois de AMD dans des contextes où le locuteur est émotionnellement impliqué. Cette implication est clairement explicitée dans l’exemple suivant :

À un moment donné ah c’est horrible quoi tu pleures (conversation entre cyclistes)

79Elle va parfois jusqu’à submerger le locuteur. On citera par exemple, en (44), le cas des AMD en rafale d’une chroniqueuse de télévision :

Et la première te dit j’ai deux enfants je suis seule je suis au smic et je comprends très bien qu’elle s’en sorte pas c’est sûr qu’elle s’en sort pas à ce niveau là mais à un moment donné je connais pas son parcours de vie à cette dame qu’est-ce qu’elle a fait pour se retrouver au smic est-ce qu’elle a bien travaillé à l’école est-ce qu’elle a suivi des études et puis si on est au smic il faut peut-être pas divorcer dans ces cas-là si tu veux à un moment donné quand on se rajoute des difficultés sur des difficultés et des boulets sur des boulets on se retrouve dans des problèmes non mais Aurore je dis pas que c’est forcément elle qui a divorcé peut-être que son mari l’a quittée et ce que tu veux mais oui mais à un moment donné on assure ses arrières aussi non mais peu importe je veux dire / à un moment donné faut prendre sa vie en main faut arrêter de se plaindre et faut arrêter d’empiler les difficultés. (Julie Grazini, dans l’émission “24h Pujadas” sur LCI, 4 novembre 2019)

80Cette intervention a – bien naturellement – fait scandale, et ce qui nous intéresse particulièrement, c’est qu’en présentant par la suite ses excuses, la chroniqueuse a invoqué le fait qu’elle avait été submergée par une émotion liée à de mauvais souvenirs :

« Je pars sur une idée qui me parait bonne [...] et là tout à coup je m’emballe, et ça part, et ça part. J’ai projeté sur cette dame sans la connaitre mes souvenirs d’enfance qui sont remontés à la figure et mes angoisses. J’ai connu la précarité quand j’étais jeune. J’ai vu les problèmes d’argent de mon père, qui a fait faillite, mon père humilié », a-t-elle déclaré en indiquant s’être « sentie submergée par cette émotion ». (La Depêche, 09/11/2019)

81Dans un tel contexte de débordement d’émotion, la récurrence des AMD ne nous semble pas fortuite.

Conclusion

82On soulignera que la pragmaticalisation de la locution reste, du fait de la persistance d’un sens temporel, moins évidente que pour d’autres adverbes ou locutions adverbiales de temps qui ont développé des emplois pragmatiques clairement distincts des emplois temporels (cf. or, cependant, maintenant, après, en attendant – les deux premiers ayant même aujourd’hui, du moins à l’oral, totalement perdu leur emploi temporel). Cependant, la régularité avec laquelle la locution AMD vient et revient dans les conversations – de façon plus ou moins frénétique, trahissant une émotion plus ou moins vive, et avec des variations interindividuelles plus ou moins marquées – est à elle seule le signe qu’elle véhicule autre chose qu’un sens temporel.

83On notera pour finir que, dans son succès, AMD admet des concurrents. On avait déjà signalé (cf. Le Draoulec et Rebeyrolle 2020a) l’existence de variantes (orales) où la préposition à alterne avec il y a (il y a un moment donné) ou est simplement omise (un moment donné). Au-delà de ces variantes proches, une locution comme au bout d’un moment semble pouvoir jouer, aussi bien en termes de tic de langage que de marqueur d’exaspération, un rôle similaire à celui de AMD. En témoigne l’extrait suivant – interview d’un agriculteur excédé par une manifestation de défenseurs de la cause animale22 :

– Agriculteur : Eux ils ont qu’à aller bouffer leurs graines et puis nous laisser tranquilles et puis c’est tout je suis désolé / au bout d’un moment faut arrêter de faire chier quoi.
– Intervieweur : Les œufs qui ont été lancés, c’est normal ?
– Agriculteur : Les œufs qui ont été lancés moi j’en ai pas lancé faut aller poser la question à ceux qui en ont lancé au bout d’un moment / c’est n’importe quoi / qu’il y ait des œufs qui aient été lancés et bien c’est peut-être pas malin mais voilà au bout d’un moment c’est de la provocation mais aussi faut bien qu’on les provoque voilà
(rts.ch/info/regions/vaud, « accrochages entre antispécistes et agriculteurs à Lausanne », 13/01/ 2018)

84Avec au bout d’un moment, il s’agit bien encore – et cette fois, explicitement – d’une question de limites, de bornes : une fois atteinte une certaine extrémité (un certain bout), l’émotion est difficile à contenir. Cette même question des limites, du point où tout bascule, est en jeu dans des énoncés du type ça commence à bien faire ou ça finit par bien faire, lesquels admettent également bien d’être introduits par AMD ou au bout d’un moment. L’exploration de ces autres moyens linguistiques susceptibles de concurrencer ou se combiner avec AMD dans l’expression d’une émotion de type « exaspération » serait à entreprendre. Pour notre part, nous nous arrêterons là, avant de dépasser les bornes…

    Notes

  • 1 Les exemples sans références sont des exemples construits. Tous les autres sont attestés. Nous soulignons en gras l’expression soumise à l’étude (et éventuellement en italiques d’autres éléments sur lesquels nous souhaitons attirer l’attention).
  • 2 Dans nos transcriptions de l’oral, nous adoptons une forme orthographique normée (sans chercher à retranscrire toutes les marques d’hésitation). Nous n’utilisons en revanche aucune ponctuation de l’écrit ; nous nous autorisons uniquement, dans des cas où il y aurait un risque d’ambiguïté, à indiquer par un double slash (//) le non rattachement de à un moment donné au segment qui précède (ou qui suit). Pour lever l’ambiguïté, nous nous contentons de nos intutions sur les critères prosodiques en jeu (tout en soulignant l’intérêt qu’il y aurait à faire une étude plus approfondie de ces critères).
  • 3 Seul l’emploi absolu du syntagme nominal un moment (non modifié par donné) peut avoir un rôle de complément de durée.
  • 4 Un de nos relecteurs (que nous remercions ici) nous fait remarquer que ce paradoxe n’est peut-être qu’apparent : voir là un paradoxe, n’est-ce pas confondre l’opération d’identification (pour laquelle on a effectivement besoin de déterminants définis) et l’opération de singularisation (pour laquelle un déterminant indéfini est suffisant) ?
  • 5 Étude réalisée dans le cadre du projet ANR Orféo (https://www.projet-orfeo.fr).
  • 6 Seul le TLF souligne que le caractère de précision peut n’être que « présenté comme tel » (mais cette nuance est uniquement introduite à propos du sens originel de donné en mathématiques).
  • 7 S’il n’y a pas de véritable contradiction, donné va dans le sens d’une singularisation du moment que l’adjonction de ou à un autre vient troubler. Par ailleurs, on peut supposer que cette construction un peu « bancale » résulte d’un télescopage entre la locution à un moment donné et cette autre locution commune que constitue à un moment ou à un autre.
  • 8 Et ce, comme nous l’avons vérifié, même dans des cas où la locution à un moment donné apparaît dans des propos rapportés – où l’emploi pragmatique mentionné en introduction ne se trouve jamais illustré.
  • 9 Cf. plus haut, la présence de donné va dans ce sens, sans que sa présence soit nécessaire.
  • 10 Cette impossibilité nous semble présenter quelques « failles », comme on le voit dans des exemples du type :
    (i) Un jour, j’étais chez ma sœur, le lendemain, chez mon frère.
    (ii) Un jour, j’étais chez ma sœur. Elle arrive dans ma chambre et éclate en sanglots.
    Il ne s’agit pas là cependant de véritables contre-exemples, dans la mesure où les configurations en jeu sont très particulières : un jour, j’étais chez ma sœur ne peut fonctionner qu’à condition d’entrer dans une structure contrastive (cf. (i)) ou de poser un contexte pour l’énoncé qui suit (cf. (ii)).
  • 11 L’analyse de Charolles (2006) est peut-être ici trop focalisée sur l’aspect référentiel de un jour, au détriment des aspects discursifs auxquels l’auteur attache par ailleurs beaucoup d’attention, mais plutôt en termes d’« encadrement temporel » (au sens où la locution temporelle est à même d’indexer d’autres phrases que celle en tête de laquelle elle figure).
  • 12 Ce caractère « facilitateur » de la présence de un jour ou AMD à l’entame de la narration serait à étayer davantage.
  • 13 En SDRT, la relation de Narration – inférée par défaut entre deux événements au passé simple – ne se confond pas avec une simple succession temporelle : elle pose des contraintes, non seulement en termes de continuité thématique, mais également sur la nature de l’espace temporel existant entre les deux événements reliés, en excluant qu’un événement pertinent puisse s’y insérer.
  • 14 AMD joue ainsi, entre les événements qu’il relie, un rôle comparable à celui de un peu plus tard, également incompatible avec l’établissement d’une relation de Narration – laquelle est au contraire impliquée par le connecteur puis (ainsi que mis en évidence par Bras, Le Draoulec et Vieu 2001).
  • 15 Soulignons encore une fois que la relation de discours de Narration, telle qu’elle est définie en SDRT, impose une continuité entre les événements reliés allant au-delà de la simple succession temporelle : l’absence de cette relation n’entre donc pas en contradiction avec le fait de parler d’usage narratif de un jour ou AMD (au simple sens d’introduction d’un nouvel épisode).
  • 16 Plus précisément, par un isomorphisme partiel des arbres syntaxiques des deux constituants formés par les événements (ou groupe d’événements) mis en relation (cf. Asher 1993).
  • 17 En ce qui concerne la base d’isomorphisme par rapport à laquelle se marque le contraste, on soulignera le rôle, en (29) ou en (32), des cadres temporels introduits par au début / un jour en (29), ou au départ / AMD en (32).
  • 18 Ce côté « tic de langage » est plus frappant encore dans le cas où la forme à un moment donné laisse place (cf. Le Draoulec & Rebeyrolle 2020a) à une variante régionale particulièrement associée au Sud-Ouest de la France, et plus particulièrement encore au milieu du rugby : cette variante, qui résulte d’une coalescence, peut être transcrite phonétiquement comme [amãdone], avec plusieurs réalisations graphiques possibles (à m’en donné, à m’ment donné, à ment donné, amendonné, à men’donné, a’mendonné, a’men’donné, amendoné…). L’emploi de cette variante (le plus souvent humoristique, ou simplement en forme de clin d’œil au parler du Sud-Ouest), observé sur différents supports (buvette, épicerie, marque de bière…) dans Le Draoulec & Rebeyrolle (2020a), continue d’être bien vivace : en témoigne le titre d’un spectacle – À men’donné – à l’affiche au café-théâtre Les 3T à Toulouse, au moment où nous écrivons ces lignes (en octobre 2020).
  • 19 Le rôle d’un investissement subjectif dans l’émergence de valeurs pragmatiques a fait l’objet de nombreuses études (on mentionnera inter alia Traugott (1989, 1995), Dostie (2004), Degand et Fagard (2012)). En ce qui concerne plus particulièrement le cas de AMD, Le Draoulec et Rebeyrolle (2020b) retiennent la manifestation d’une subjectivité négative du locuteur comme critère décisif de reconnaissance du fonctionnement pragmatique de la locution et mettent en évidence, sur un corpus oral, le rôle de donné dans cet investissement subjectif.
  • 20 Lequel appel est en revanche explicitement formulé dans le contexte gauche : « on peut juger que cela atteint un degré de déstabilisation, de barbarie, de risque de contagion, de sanctuaire pour l’ensemble des zones terroristes tel qu’une réaction était devenue inévitable ».
  • 21 Nous remercions le relecteur qui souligne la complexité du lien entre émotion et pragmaticalisation, en posant la question suivante : est-ce « l’émotion qui joue un rôle dans la pragmaticalisation, ou la pragmaticalisation qui se reconnaît/correspond à des situations où AMD se charge d’une valeur expressive ? ». Question que nous nous sommes beaucoup posée en effet, et qui demanderait, pour être traitée, un approfondissement de la réflexion dépassant le cadre du présent article.
  • 22 Un grand merci à Rudolf Mahrer de nous avoir signalé cette vidéo qui a « fait le buzz ».

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