167012

(2012) Appareil 10.

Les Immatériaux de Lyotard (1985) 

un programme figural

Jean-Louis Déotte

Nous possédons trois documents importants sur l’exposition Les Immatériaux : le « petit journal » de l’exposition diffusé par le Centre G. Pompidou à des fins pédagogiques, s’adressant à un large public, l’Inventaire constitué de 71 fiches non paginées (recto verso) qui est un véritable catalogue et l’Album qui établit la genèse de l’exposition, comportant de nombreux diagrammes et schémas. Avec ce document, on peut suivre Lyotard au travail. Le gris est la couleur dominante de ces volumes, parce que selon lui, c’est « la couleur de la postmodernité ». L’exposition se déployait sur l’ensemble du dernier étage du Centre et était conçue pour rendre sensible, et déjà du fait du parcours, une idée spéculative, celle des Immatériaux. Lyotard souhaitait un parcours en rollers. Une fois posée la question de la destination humaine, dès le vestibule d’entrée, avec un bas-relief égyptien (la déesse offrant le signe de la vie au roi Nectanébo II, un fragment de paroi du temple de Karnak Nord), le spectateur se retrouvait dans le Théâtre du non-corps où s’ouvraient cinq parcours différents organisant tous les sites de l’exposition. Ces parcours étaient indépendants les uns des autres pour respecter la problématique structurant l’ensemble de l’exposition, mais certains sas de communication étaient prévus, ce qui engageait de fait le spectateur dans un labyrinthe. Comme il est montré plus bas, Lyotard a repris le schéma classique de la communication (destinateur, destinataire, code, référent, signification) afin de caractériser la situation postmoderne à partir de la déclinaison de la racine mat : matériau, matrice, matériel, matière, maternité. Chaque parcours, par exemple « matériau », permet d’enchaîner les sites suivants : nu vain, deuxième peau, l’ange, corps chanté, corps éclaté, Infra-Mince, surface introuvable, indiscernables, matériau dématérialisé, peinture luminescente, peintre sans corps, toutes les copies. Un certain nombre de sites logiquement proches (cf. Nu vain, Deuxième peau, L’ange) étaient regroupés en zones, chaque zone abritait un émetteur sonore à infra-rouge (les spectateurs se déplaçant avec des casques de réception) qui ne couvrait qu’un espace réduit. Ce sont donc ces émetteurs qui structuraient l’espace de cette exposition en archipel, puisque les émetteurs ne se recoupant pas, un vide sonore, un désert, séparait les zones. Le visiteur était donc rapidement à la recherche d’un autre radio-phare, ce qui explique la possibilité d’une déambulation erratique rendant sensible la conception lyotardienne du langage où les phrases sont des événements totalement séparés, qui peuvent se succéder aléatoirement selon des genres de discours hétérogènes, eux-mêmes soumis à des normes de légitimité incomparables, entre lesquelles nul juge ne pourrait trancher. Chaque fiche de l’Inventaire dénote un site. Par exemple, la fiche nu vain, site d’ouverture du parcours matériau comporte : un commentaire de Lyotard (« Le corps dépouillé. La nudité comme limite du sens, comme présence absurde. La chair remplacée par le matériau neutre, mesurable, démultipliable, immatriculable »), quatre photos de Muybridge (« Walking » et « Various Poses » extraites de Animal Locomotion, 1887), une description des autres éléments du site : « Forêt de douze mannequins asexués. À l’intérieur, projection d’un passage du film Monsieur Klein. En alternance, une photo de déporté durant la seconde guerre mondiale ». Le site suivant ce site paradigmatique, intitulé Deuxième peau, illustrant la problématique de la prothèse dans son rapport au corps naturel, peut être considéré aussi à partir de la problématique (et donc du parcours) de la matrice et renverra alors à un site spécifique : toutes les peaux, ou du point de vue matériel au site habitacle, ou pour la maternité au site vite habillé. Chaque fiche est donc en même temps un extrait de tableau à double entrée. Quand une fiche présente des œuvres d’art, outre le crédit photo et les remerciements d’usage, une description de l’œuvre est proposée, ainsi qu’une bibliographie de référence et des citations en commentaire. C’est le cas de la fiche Infra-Mince comportant des œuvres de Duchamp, Klein, Anselmo, Kuntzel.

Publication details

DOI: 10.4000/appareil.797

Full citation:

Déotte, J. (2012). Les Immatériaux de Lyotard (1985) : un programme figural. Appareil 10, pp. n/a.

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