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(2009) Le Portique 22.

Propos sur les paysages de catastrophe 

Tchernobyl

Henri-Pierre Jeudy

Sans doute est-il outrecuidant de s’interroger sur le fait qu’un territoire sinistré puisse « faire paysage ». Si je prends pour exemple le site de Tchernobyl, je peux, bien entendu, m’attacher à la perception du « sarcophage ». Ce réacteur enveloppé par une chape de béton se présente dans le champ de ma vision comme le symbole majeur de la catastrophe passée. Il cristallise à lui tout seul toute la perception des lieux en imposant au regard le souvenir impérissable du désastre, de son histoire inoubliable. Mais en parcourant ces mêmes lieux, je vois aussi que la nature est devenue luxuriante, que des traces des villages disparus sont enfouies dans les hautes herbes, je sens que le site dans son ensemble est plongé dans un étrange silence… Toutes ces sensations adviennent simultanément comme si j’étais happé par une atmosphère dont chaque détail ne fait que conforter mon impression de densité du paysage. Les territoires sinistrés nous invitent à voir ce qui n’est pas en ce qui est, en ce qui demeure visible. Il ne s’agit pas des traces repérables qui permettent une lecture toujours possible de ce qui s’est passé, ou une mise en représentation d’une catastrophe ancienne. Le temps produit une dissolution de la représentation en imposant au regard la puissance de l’irreprésentable. Et la catastrophe n’est-elle pas ce qui, par essence, est irreprésentable ?

Publication details

Full citation:

Jeudy, H. (2009). Propos sur les paysages de catastrophe : Tchernobyl. Le Portique 22, pp. n/a.

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